Voici la lettre du prisonnier politique Leonard Peltier sur l'écrivain Peter Mattiessen, affichée par Ismène Toussaint, militante de la cause des Métis et des Premières nations, dans son site :
http://www.ismenetoussaint.ca/ArticleView.php?article_id=952
ISMÈNE TOUSSAINT
(photos à ajouter)
« L'ÉCRIVAIN PETER MATTHIESSEN ÉTAIT UN VRAI GUERRIER, UN HÉROS RÉEL... »
PAR LEONARD PELTIER1, SITE WEB LEONARDPELTIER.INFO
(TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR ISMÈNE TOUSSAINT)
Coleman, Floride, le 6 avril 2014 - Salutations mes amis, mes parents et mes supporters,
L'autre jour, l'image de Peter Matthiessen2 m'était venue à l' esprit : j'avais pensé que je ferais mieux de l'appeler pour voir comment il allait. Depuis que je le savais malade, je ne voulais pas l'ennuyer ni le déranger avec mes problèmes car il avait assez de soucis comme cela. Aujourd'hui, j'ai reçu un mot d'Indigo m'apprenant que mon ami était décédé.
Ma foi, je croyais qu'il aurait toujours vécu... Peter était unique en son genre - vraiment, UN de ceux qui entreront dans l'histoire. Il s'est battu pour les pauvres et pour les épuisés, pour les malades et pour toute personne dont les problèmes étaient portés à son attention. Il a pris du temps sur sa propre vie pour essayer de les aider de toutes les manières possibles. Il donnait TOUJOURS gratuitement quand quelqu'un avait besoin de quelque chose et a lutté pour ceux qui étaient maltraités.
Je veux dire que la vie de cet homme était comme un scénario de film. Sans mentionner les grands livres qu'il a écrits - certains d'entre eux sont époustouflants - il avait cette sorte de talent que nous pourrions ne jamais revoir. Il m'avait raconté une histoire sur son grand-père, quand ce dernier était maire (ou peut-être gouverneur) de New York (?).
Il y avait toujours des Indiens qui traînaient autour de sa résidence, aussi les conservateurs et les riches lui causaient-ils beaucoup de problèmes : ils ont tout fait pour discréditer son administration. Certaines de ces personnes faisaient des déclarations très racistes, le traitant même d'«amant des Indiens», etc. Il faut que les Premiers Peuples sachent que nous avons une grande dette envers cet homme, Peter Matthiessen. C'était un être très courageeux, un vrai guerrier. Il a combattu DUREMENT pour nous en tant que peuple. Il s'est battu infatigablement pour ma liberté.
Il était du très petit nombre de ceux qui s'en fichaient que sa carrière soit détruite, ce que le FBI a tenté de faire lorsqu'il a essayé de s'occuper de moi. Oui, il m'avait dit que l'on menaçait sa carrière et même sa propre vie. Je sais que c'est vrai et il n'était pas le seul à qui l'on s'en prenait.
Lorsqu'il a écrit son livre sur mon cas et sur ma condamnation, In the Spirit of Crazy Horse3 (Dans l'Esprit de Crazy Horse), le FBI s'est efforcé de ruiner sa carrière en montant contre lui et contre sa maison d'édition un dossier de faux procès en diffamation de plusieurs millions de dollars, et aussi d'INTERDIRE avec efficacité son ouvrage. Comme cela n'a pas marché, on a menacé sa vie et celle de sa famille. En vrai guerrier, il leur a demandé de quitter sa propriété. «C'est sûr que j'étais inquiet », m'avait-il affirmé, mais sa croyance en la Constitution et en l'Amérique était plus forte que toutes les formes de peur dont ils pouvaient user.
D'autres, que l'on menaçait et qui commençaient à craindre pour eux-mêmes, ont brûlé des milliers et des milliers d'exemplaires de notre livre. Oui ! À l'époque moderne, on a brûlé In the Spirit of Crazy Horse...
Le gouverneur Bill Janklow a menacé toutes les librairies du Dakota du Sud pour interdire le livre. C'est juste une partie des milliers de pages de documentation qui tournent autour de mon cas.
Tout ce que je tiens à dire, c'est que cela a été un grand honneur pour moi de vivre dans le même monde que Peter, en tant qu'être humain sur la Terre.
Merci pour ta fraternité et pour ton amour.
Je crois que nous (tous les peuples) devons TANT à cet homme ! Il y a tant à dire sur lui, comme être humain, comme homme, comme écrivain, et oui, il était LE PLUS GRAND PRÉCURSEUR de ce siècle du mouvement écologique. Nous devrions faire pression pour que les États-Unis lui remettent la plus haute distinction. Cela aurait dû être fait avant sa mort, à tout le moins par les Nations autochtones.
Il méritait les excuses du FBI, qui est un employé du peuple américain.
Nous devrions faire pression sur Hollywood pour qu'on consacre un film à son existence courageuse et à son apport à l'humanité, aux animaux sauvages, tels le glorieux léopard des neiges4, les oiseaux, les poissons, ainsi qu'à à toute la terre sur laquelle nous vivons.
Hollywood a besoin de héros RÉELS, pas de faux héros comme on en voit tous les jours dans les films. Peter Matthiessen était un HÉROS RÉEL...
Peter, si tu nous regardes de là-haut, tu me vois en train d'écrire ceci.
Mes yeux se brouillent de larmes et tu me manques déjà.
Je t'avais demandé, lors de notre dernière conversation téléphonique : «s'il te plaît, ne me laisse pas ici».
Attends-moi. Je sais dans mon cœur que tu as essayé.
Je t'aime et tu vas terriblement me manquer.
Je te verrai bientôt, mon frère, quand mon temps sera venu.
À la famille de Peter, veuillez accepter, je vous prie, ma plus profonde gratitude pour chaque moment qu'il m'a donné et que vous, sa famille, avez sacrifié pour moi ; pour chaque moment où il s'est battu et où il a travaillé si assidûment, pendant toutes ces années, pour moi et pour mon peuple. Mes plus sincères condoléances. Si je pouvais être là-bas pour pleurer et vivre mon deuil avec vous ! Les ancêtres ont une place spéciale pour Peter dans le Tipi ...
À vous tous, j'envoie tout mon amour.
Gardez au plus près de vous ces vrais amis qui se battent et qui se sacrifient pour ce qui est juste.
TRÈS SINCÈREMENT, dans l'Esprit de Crazy Horse,
Doshka
Leonard Peltier
Cette lettre m'a été aimablement communiquée par Team Freedom (L'Équipe Liberté). Pour plus d'informations, veuillez consulter le site web http://www.leonardpeltier.info (en anglais), ainsi que les pages Facebook consacrées à Leonard Peltier.
NOTES
1. Leonard Peltier (1944-). Leader, artiste-peintre et prisonnier politique autochtone. Né à Grand Forks (Dakota du Nord, États-Unis), ce membre des Nations lakota-sioux, chippewa et anishinabé d'ascendance canadienne-française, joua un rôle important dans les années 1970, au sein de l'American Indian Movement (Mouvement des Indiens Américains), dans le réveil de la fierté autochtone et des revendications de siens. En 1976, il fut accusé du meurtre de deux policiers fédéraux, qui avait eu lieu à Pine Ridge (Dakota du Sud), lors de la commémoration du massacre des Sioux de Wounded Knee (1890), et condamné sans preuves à deux peines d'emprisonnement à perpétuité. Malgré la pression internationale, il est toujours détenu au pénitentier de Coleman (Floride).
2 Peter Matthiessen (1927-2014). Écrivain et naturaliste américain. Originaire de New York, il effectua des études de zoologie aux Universités de Yale (New Haven, Connnecticut) et de la Sorbonne (Paris), puis travailla pour la CIA tout en cofondant et en dirigeant le magazine litéraire Paris Review (La Revue de Paris). Globe-trotter, pacifiste, grand défenseur de la cause des Indiens d'Amérique et de la planète, il publia plusieurs romans (At Play in the Fields of Lord, 1965 ; la trilogie Killing Mr Watson, 1980, Lost Man's River, 1997, et Bone by bone, 1999, réunie depuis 2008 sous le titre Shadow Country), ainsi que de nombreux essais (citons entre autres Wild Life in America, 1959 ; The Shorebirds of North America, 1967 ; Sand Rivers, 1991 ; Tigers in the Snow, 2000) et récits de voyages, tels Blue Meridian (1974), The Snow Leopard, (1978), African Silences (1991), End of the Earth : Voyages to Antarctica, (2003). En 1983, la parution de In the Spirit of Crazy Horse (Dans l'Esprit de Crazy Horse), qui défendait la cause du militant autochtone Leonard Peltier, condamné en 1977 à la prison à perpétuité pour un double meurtre qu'il n'avait pas commis, suscita la polémique dans tout le pays. Devenu moine bouddhiste après la mort de sa femme, en 1972, l'auteur animait un groupe de réflexion zen à Sagaponack (État de New York). Son dernier ouvrage, In Paradise (Au Paradis, 2014), a paru le lendemain même de son décès.
3. Publié en 1983, cet ensemble de chroniques est aujourd'hui disponible aux Éditions Viking Penguins (États-Unis).
4. Cet animal donna son nom à un essai de Peter Matthiessen, The Snow Leopard (1978).
© Leonard Peltier - Site web Leonardpeltier.info -